Oncle Gérard
Pourquoi ai-je attendu si longtemps pour rendre hommage à un homme que j'ai tellement admiré? "Oncle Gérard", c'est ainsi que nous l'appelions, nous les enfants de la petite communauté d'amis qui se réunissaient, lorsque j'étais encore haute comme trois pommes, quasiment tous les week-ends dans un cadre idyllique : le château de Fromonville, sur la toute petite commune de Moncourt en Seine-et-Marne. "Oncle Gérard" avait loué le château à la châtelaine pour quelques années et il y invitait tous ses amis, dont mes parents faisaient partie.
Nous, les enfants de cette joyeuse bande, vivions des week-ends de rêve dans un parc qui donne sur le canal du Loing. C'est l'époque des courses d'escargots, de l'apprentissage du vélo, des jeux de piste et balades à la recherche de toutes les curiosités de la nature. Quant aux parents, ils se mettaient en groupe pour aller monter à cheval, faire une partie de tennis ou un bridge, ou encore pour aller faire les courses ou aider la brave Mme Paula à préparer à manger pour tout ce monde. Mais tout le monde se retrouvait le soir pour faire la fête, parfois costumée ou sous les feux d'artifice.
Photo : The Rigpa Journal http://www.viewmagazine.org/index.php/articles/tibet/198-gerard-godet.html
Le vrai nom d'oncle Gérard, c'est Gérard Godet. A Fromonville, nous retrouvions souvent ses nièces Leïla (son père, décédé, était le frère de Gérard) et Diane, avec qui nous faisions les 400 coups et c'est d'ailleurs parce qu'elles l'appellaient "oncle Gérard" que nous en faisions autant. Du personnage, nous ne voyions que l'homme en vacances, gentil, souriant, simple et généreux, toujours prêt à faire le bien autour de lui et non le polytechnicien brillant qu'il était en semaine. Il semblait très attiré par l'Inde car je me rappelle, entre autres, qu'il avait fait venir des musiciens et des danseuses d'Inde pour nous divertir. Il s'intéressait à des approches alternatives de la médecine et avait parmi ses amis le docteur Leboyer, qui a fait parler de lui avec sa méthode pour accoucher sans violence.
En réalité, je n'ai appris que bien plus tard -le château avait déjà été revendu par sa propriétaire à la Mairie pour en faire l'Hôtel de Ville de Moncourt- que Gérard avait fondé un Ashram (monastère bouddhiste) quelque part en Dordogne ou dans les Cévennes. Et je ne l'ai revu qu'une fois depuis, lors d'une fête donnée par l'une de ses nièces à Paris. Il rayonnait de bonté et de chaleur humaine et avait toujours cette façon de s'exprimer souriante et amusée. Un de mes frères m'a dit qu'il était considéré, dans son monastère, comme la réincarnation d'un grand lama.
J'ai appris encore plus tard qu'"oncle Gérard" s'était éteint en novembre 2010. Il avait alors 86 ans. J'ai lu qu'il avait dévoué sa vie depuis la fin des années 1960 au Dharma et était considéré comme l'un des plus grand mécènes du Bouddhisme en France. Certains affirment même que sans lui, le Bouddhisme ne serait pas répandu comme il l'est à présent en occident.
En y repensant, je me suis rappelée que parmi ses amis "abonnés" aux week-ends au château, il y avait la peintre Yahne Le Toumelin, soeur du navigateur Jacques-Yves Le Toumelin, et qui s'est rapprochée elle aussi du Bouddhisme au point de s'attacher en 1968 à un monastère tibétain, où elle a passé une vingtaine d'années. De son premier mari, le philosophe Jean-François Revel, elle eut un fils qui n'est autre que Mathieu Ricard, bras droit et traducteur du Dalaï Lama depuis plusieurs années. Je crois que c'est grâce à Yahne que Gérard est parti en quête du lieu où son frère Robert, dont elle avait été une grande amie, avait trouvé la mort dans un petit coucou près de l'Hymalaya.
Il semble donc que le destin de ces trois personnages : "Oncle Gérard", Yann (Yahne) Le Toumelin et Mathieu Ricard ait été et est encore lié à la spiritualité profonde des lamas tibétains. Outre l'aide à l'essor et l'installation du bouddhisme tibétain en occident, la fortune et le grand coeur d'oncle Gérard l'ont amené à devenir l'un des grands financeurs des Restos du coeur, de Mère Thérésa à Calcutta, d'une léproserie et, entre autres, à contribuer à la création d'ATD Quart-Monde. Car il n'a cessé de donner tout ce qu'il pouvait, avec amour et discrétion, à des causes humanistes et humanitaires.